Orientations d’aménagement et de programmation (OAP) : le Conseil d’État affirme sa fermeté sur la souplesse du rapport de compatibilité
Conseil d’État, 30 décembre 2021, Commune de Lavérune, n°446763 (B)
3. Il résulte de ces dispositions qu'une autorisation d'urbanisme ne peut être légalement délivrée si les travaux qu'elle prévoit sont incompatibles avec les orientations d'aménagement et de programmation d'un plan local d'urbanisme et, en particulier, en contrarient les objectifs. Il y a lieu de tenir compte, lorsque l'orientation d'aménagement et de programmation porte sur une zone d'aménagement concerté, de la localisation, prévue dans les documents graphiques, des principaux ouvrages publics, des installations d'intérêt général et des espaces verts. Dans l'hypothèse où l'orientation d'aménagement et de programmation prévoit, comme élément de programmation d'une zone d'aménagement concerté, la localisation d'un équipement public précis, la compatibilité de l'autorisation d'urbanisme portant sur cet équipement doit s'apprécier au regard des caractéristiques concrètes du projet et du degré de précision de l'orientation d'aménagement et de programmation, sans que les dispositions du code de l'urbanisme relatives aux destinations des constructions, qui sont sans objet dans l'appréciation à porter sur ce point, aient à être prises en compte.
4. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que, par une délibération du 26 octobre 2011, le conseil municipal de Lavérune a approuvé le dossier de réalisation de la zone d'aménagement concerté du Pouget, dans laquelle s'insère le projet de construction en litige, et que le plan local d'urbanisme a défini, dans le périmètre de cette zone d'aménagement concerté, une orientation d'aménagement et de programmation. Parmi les " grands principes de composition " de la zone d'aménagement concerté figure la réalisation d'" équipements publics (notamment EHPAD) ", tandis que le plan de composition de l'orientation d'aménagement et de programmation identifie les environs du terrain d'assiette du projet en litige comme devant accueillir un " équipement public ".
5. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 qu'en se fondant, pour apprécier la compatibilité du projet autorisé par le permis de construire litigieux avec l'orientation d'aménagement et de programmation ayant prévu un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) au sein de la zone d'aménagement concerté du Pouget, sur la circonstance qu'en vertu de l'article R. 151-28 du code de l'urbanisme, il ne relevait pas de la même sous-destination de construction " équipements d'intérêts collectifs et services publics " qu'un EHPAD, alors qu'il lui incombait de rechercher si, au regard des caractéristiques concrètes du projet et des termes de l'orientation d'aménagement et de programmation, ce dernier contrariait la réalisation des objectifs poursuivis par cette orientation, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.
6. En outre, il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que le projet autorisé est une résidence intergénérationnelle de quatre-vingt-dix-neuf logements, dont soixante-deux ont vocation à accueillir des personnes âgées, qui inclut des espaces collectifs et dont la gestion sera confiée à une association spécialisée dans la gestion de résidences pour personnes âgés et qui est autorisée à fournir des services d'aide à domicile, notamment aux personnes âgées. Par suite, en jugeant qu'il n'était pas compatible avec l'orientation d'aménagement et de programmation de la zone d'aménagement concerté du Pouget, qui poursuivait notamment un objectif de développement d'une offre de logements adaptée aux personnes âgées en situation de dépendance, le tribunal administratif a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
Le Conseil d’État a suivi son rapporteur public, Monsieur Vincent VILLETTE (dont les conclusions sont disponibles sur le site d’Arianeweb).
De manière schématique, les faits sont les suivants : la commune de Lavérune avait prévu, en 2007, par le biais d’une zone d’aménagement concertée (ZAC), d’affecter une portion de son territoire à l’édification d’une maison de retraite.
Elle ne trouve aménageur à son pied qu’en 2010 et en 2011, elle approuve un nouveau plan local d’urbanisme. Ce dernier comprend une orientation d’aménagement et de programmation (OAP) sur cette ZAC.
Cette OAP indique “équipements publics (notamment EHPAD)” à l’emplacement prévu dans les documents de la ZAC.
La concession d’aménagement ne prévoyait pas l’édification de l’EHPAD.
Ainsi, en 2016, la commune se fait rétrocéder le bout de terrain pour le vendre à une personne privée qui dépose un permis de construire qui porte sur une maison intergénérationnelle.
Le tribunal administratif de Montpellier, saisi de deux requêtes, annule ce permis de construire au motif que la sous-destination de la construction ne correspondrait pas à celle prévue dans le cadre de l’orientation de l’OAP.
Ce raisonnement est sanctionné d’erreur de droit : le tribunal administratif a fait application des destinations issues du décret de 2015 et codifiées aujourd’hui aux articles R. 151-27 et R. 151-28 du code de l’urbanisme, lesquels n’étaient pas applicables à ce permis mais également ces dispositions n’ont pas vocation à être appliquées dans le cadre de l’appréciation de la compatibilité d’une autorisation d’occupation des sols avec une OAP.
En effet, les articles R. 151-27 et R. 151-28 du code de l’urbanisme sont situés dans la section du code ayant trait au règlement, les OAP relevant d’une autre section.
Ces destinations permettent, nous dit Monsieur VILLETTE, de poursuivre deux objectifs : servir de référentiel pour apprécier les changements de destination et pour distinguer l’application des règles du règlement du plan local d’urbanisme.
Mais le point important tient à la raison d’être des OAP, qui ont vocation à permettre à l’autorité administrative de définir des grandes lignes d’aménagement dans son document d’urbanisme mais de manière suffisamment imprécise pour laisser une marge de manœuvre aux pétitionnaires.
Ce qui explique que les autorisations d’urbanisme s’appliquent dans un rapport de comptabilité et non de conformité comme le règlement.
Selon Monsieur VILLETTE, l’approche du tribunal administratif a été trop rigide mais il appelle de surcroît le Conseil d’État à juger, de manière surabondante, que le projet n’est pas incompatible avec l’OAP pour “fixer votre (le Conseil d’État) degré de contrôle en cassation sur l’appréciation portée par les juges quant à la compatibilité d’un projet avec une OAP”.
Et c’est bien ce qu’a fait le Conseil d’État à la fin du considérant 6 qui précise bien que le tribunal administratif a inexactement apprécié les faits.
Il est intéressant de noter que le rapporteur public, pour argumenter cette inexacte appréciation des faits, explique que certes un EHPAD et une maison intergénérationnelle sont différents, rappelle que l’intention première de l’autorité administrative portait sur une maison de retraite mais surtout, souligne qu’entre l’adoption du PLU et l’instruction du permis de construire, les circonstances avaient changé.
La région s’était en effet dotée d’un nombre suffisant d’EHPAD et la construction d’un nouvel EHPAD était devenu superflu, expliquant la raison pour laquelle la commune s’est alors rabattue sur une maison intergénérationnelle mais surtout, permettant d’illustrer ce que doivent permettre les OAP.
Les OAP doivent donc permettre cette adaptabilité.
Le Conseil d’État, pour sa part, a noté que la résidence avait vocation à accueillir des personnes âgées, était gérée par une association spécialisée dans la gestion de résidence pour personnes âgées et autorisée à fournir des services d’aide à domicile.
Partant, il n’y avait pas d’incompatibilité avec l’objectif de l’OAP qui consistait à développer une offre de logements adaptée aux personnes âgées en situation de dépendance.
La phrase conclusive de Monsieur VILLETTE synthétise l’objectif que doivent remplir des OAP au sein d’un document d’urbanisme : “En cela, une cassation sur ce second terrain constituerait donc une bonne illustration de l’utilité de l’OAP, dont la souplesse permet à une collectivité d’adapter son projet aux circonstances sans avoir à modifier au préalable son document d’urbanisme.”
Crédit photo: Neel SHAKILOV