Précisions sur la notion de confirmation de la demande au titre de l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme
Conseil d’État, 14 décembre 2022, Société Eolarmor, n°448013, A :
3. Ces dispositions, qui ont un caractère dérogatoire, sont d'interprétation stricte. En jugeant que la demande présentée par la société Eolarmor ne pouvait être considérée comme une confirmation de sa demande d'autorisation initiale au sens et pour l'application des dispositions de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme dès lors qu'elle impliquait une modification du projet dépassant de simples ajustements ponctuels, qu'il s'agissait par suite d'une demande portant sur un nouveau projet et qu'elle devait, dans ces conditions, être appréciée non au regard des règles d'urbanisme en vigueur à la date de la décision illégale de refus de permis de construire, mais au regard des règles du plan local d'urbanisme adopté en 2017, applicables à la date de cette nouvelle demande, la cour administrative d'appel de Nantes, qui a porté sur les pièces du dossier une appréciation dénuée de dénaturation, n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit.
(…)
6. Pour annuler le permis litigieux, la cour administrative d'appel de Nantes a retenu les moyens tirés de ce que plusieurs balcons excédaient la largeur maximale fixée par l'article UC 1 du plan local d'urbanisme, que l'emprise de la construction méconnaissait la règle d'implantation par rapport aux voies publiques prévue par l'article UC 5, que la construction ne respectait pas les règles de prospect prévues par l'article UC 6, que l'emprise au sol était deux fois supérieure au coefficient maximal d'emprise au sol de 40 % fixé par l'article UC 8, que la hauteur était supérieure à la hauteur maximale prévue par l'article UC 9, que le projet ne comportait pas de local ou abri extérieur réservé au stationnement des cycles non motorisés, contrairement à ce que prévoit l'article UC 11, et comportait un nombre insuffisant de places de stationnement eu égard au nombre de logements et à la surface de plancher globale, et enfin que par sa situation, ses dimensions et son volume, le projet était de nature à porter significativement atteinte au caractère et à l'intérêt du site classé des Roches Blanches en méconnaissance des articles UC 2 et UC 10 du plan local d'urbanisme. En statuant ainsi sans faire usage de l'obligation qui pèse sur elle de surseoir à statuer lorsque le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme dont l'annulation est demandée sont susceptibles d'être régularisés, la cour a implicitement mais nécessairement estimé que l'un au moins des vices affectant la légalité du permis de construire était insusceptible d'être régularisé. La cour, qui n'était pas tenue de motiver son refus dès lors qu'elle n'était pas saisie d'une demande de régularisation, a ce faisant porté sur les pièces du dossier une appréciation dénuée de dénaturation et n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit.
Lorsque la décision de refus de l’autorité compétente, opposée à une demande d’autorisation d’occupation des sols a fait l’objet d’une annulation par le juge, alors l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme peut s’appliquer.
Cet article dispose :
Lorsqu'un refus opposé à une demande d'autorisation d'occuper ou d'utiliser le sol ou l'opposition à une déclaration de travaux régies par le présent code a fait l'objet d'une annulation juridictionnelle, la demande d'autorisation ou la déclaration confirmée par l'intéressé ne peut faire l'objet d'un nouveau refus ou être assortie de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme intervenues postérieurement à la date d'intervention de la décision annulée sous réserve que l'annulation soit devenue définitive et que la confirmation de la demande ou de la déclaration soit effectuée dans les six mois suivant la notification de l'annulation au pétitionnaire.
La question qui s’est posée au Conseil d’État était de savoir si la notion de “demande d’autorisation ou la déclaration confirmée” est à entendre strictement ou si elle admet quelques modifications et, le cas échéant, dans quelles proportions ? Dit autrement, à partir de quand on bascule de confirmation à une nouvelle demande ?
La cour administrative d’appel de Bordeaux avait jugé (Cour administrative d’appel, 8 octobre 2013, Commune de Hendaye, 13BX00444) :
5. Considérant, en premier lieu, que M. A... a déposé la seconde demande de permis de construire le 3 juin 2010, dans les six mois du jugement du 16 février 2010 par lequel le tribunal administratif de Pau a annulé l'arrêté du maire d'Hendaye du 7 avril 2008 rejetant la première demande de permis ; que, contrairement à ce que soutient la commune d'Hendaye, la circonstance que l'intéressé ait déposé à nouveau un dossier complet de demande de permis au lieu de se borner à confirmer sa précédente demande ne fait pas obstacle à l'application des dispositions précitées de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme ; qu'au demeurant, le pétitionnaire avait précisé, dans la notice jointe à sa seconde demande de permis, que le dossier correspondait au projet objet de la demande déposée le 31 octobre 2007 ;
6. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que la construction projetée dans la seconde demande de permis, également sur la parcelle cadastrée section AK n° 480, présente les mêmes caractéristiques que le projet de la première demande, ayant une implantation et un volume identiques, ayant la même surface hors oeuvre nette, répartie en cinq niveaux, dont un rez-de-chaussée de 464 mètres carrés de surface hors oeuvre nette affectés à un usage de bureaux, comprenant également 13 logements d'une pièce, 20 logements de deux pièces et sept logements de trois pièces, outre un sous-sol pour le stationnement des véhicules ;
7. Considérant, en troisième lieu, que, si le projet déposé le 3 juin 2010 ne comporte pas, au droit de l'aire de stationnement, la terrasse qui était dessinée sur le plan de masse joint à la demande du 31 octobre 2007, il n'est pas contesté que l'aménagement de cet ouvrage, au demeurant de dimension réduite, n'était pas davantage prévu initialement sur les plans de détail ; que, par suite, la suppression de cet ouvrage sur le nouveau plan de masse n'est pas de nature à faire regarder comme différent le projet présenté le 3 juin 2010 ; qu'il en est de même de la prévision d'une huitième lucarne sur le plan de la toiture du projet du 3 juin 2010, lucarne qui ne révèle pas une modification de l'organisation interne du bâtiment, en particulier une augmentation de la surface hors oeuvre nette ou la création d'un logement supplémentaire ; que, si la seconde demande prévoit un traitement des façades " en enduit monocouche de type Weber et Broutin 000 blanc pur ", au lieu d'un enduit de ton " naturel ", plus soutenu dans l'encadrement des ouvertures, cette différence constitue, non une modification de la demande, mais une précision de la teinte ;
Monsieur Nicolas AGNOUX, rapporteur public (ses conclusions sont en ligne ici) a appelé le Conseil d’État à censurer le raisonnement de la cour d’appel comme entaché d’une erreur de droit.
Le rapporteur public a d’abord exposé deux approches, selon lui extrêmes, possibles, c’est-à-dire une approche littérale, à savoir la demande initiale, rien que la demande initiale et sans modification aucune et l’approche suivie par le Conseil d’État pour les permis de construire modificatif et de régularisation (Conseil d’État, avis, 2 octobre 2020, M. Barrieu, n°438318, A ; Conseil d’État, 26 juillet 2022, Mme D., n°437765, A), c’est-à-dire des modifications importantes .
L’idée de Monsieur AGNOUX serait de mélanger en effet la demande de permis initial et le permis de construire modificatif qui aurait suivi pour permettre la modification du permis initialement demandé mais modifié dans la version confirmée après annulation (une sorte de PCM intégré en somme).
Il souhaite ainsi que le pétitionnaire s’économise une phase de confirmation, octroi de l’autorisation puis dépôt d’un permis modificatif pour apporter les modifications souhaitées.
Il propose une troisième voie médiane : l’application de l’arrêt Seckler (Conseil d’État,27 mai 1988, Mme Seckler, n°79530, A) aux modifications apportées au projet initial confirmé en application de l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme.
Pour rappel, Seckler nous explique le régime de travaux portant sur une construction existante qui n’est plus conforme aux dispositions d’urbanisme applicables à la date à laquelle les travaux sont demandés. Le juge indique que ces travaux sont possibles à la condition d’être soit étrangers aux dispositions d’urbanisme méconnues ou alors d’améliorer ou de ne pas aggraver la méconnaissance des dispositions d’urbanisme.
Les travaux existants seraient alors les travaux refusés dans le cadre du permis initial.
La solution prônée par Monsieur AGNOUX était alors la suivante:
Nous vous proposons donc de juger que, lorsqu’il confirme sa demande en vue de bénéficier des dispositions dérogatoires de l’article L. 600-2, il est loisible au pétitionnaire de modifier son projet, dès lors que les modifications envisagées n’apportent pas à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même mais dans la seule mesure où ces évolutions ne conduisent pas à porter aux nouvelles règles d’urbanisme une atteinte supplémentaire par rapport à celle résultant du projet initialement prévu.
Cette solution n’a cependant pas été retenue par le Conseil d’État, sans doute parce qu’en économisant des étapes, on ne fait que créer plus de confusion.
L’article L. 600-2 du code de l’urbanisme est d’application stricte car il est une exception au principe suivant lequel la loi applicable est celle en vigueur à la date à laquelle l’autorisation est accordée.
Le pétitionnaire, alors titulaire d’un permis de construire, aura tout le loisir de modifier son permis en appliquant l’arrêt Leroy (Conseil d’État, 26 juillet 1982, Leroy, n°23604, A) et en veillant à ne pas apporter de modifications qui constitueraient un bouleversement tel qu’elles changeraient la nature du projet (Mme D. cité plus haut).
Reste la question de savoir ce que sont des “ajustements ponctuels” mais compte-tenu de la précision du caractère strict de l’interprétation de l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme, ces modifications devront être très réduites.
Toutefois, le pétitionnaire prudent se gardera bien d’apporter des ajustements à sa demande initiale et les apporter dans un second temps.
Crédit photo: Geralt / Gerd Altmann