Clap de fin pour l’incomplet qui permet de ménager des délais supplémentaires
Conseil d’État, 9 décembre 2022, Commune de Saint-Herblain, n°454521, A :
5. Il résulte de ces dispositions qu'à l'expiration du délai d'instruction tel qu'il résulte de l'application des dispositions du chapitre III du titre II du livre IV du code de l'urbanisme relatives à l'instruction des déclarations préalables, des demandes de permis de construire, d'aménager ou de démolir, naît une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite. En application de ces dispositions, le délai d'instruction n'est ni interrompu, ni modifié par une demande, illégale, tendant à compléter le dossier par une pièce qui n'est pas exigée en application du livre IV de la partie réglementaire du code de l'urbanisme. Dans ce cas, une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite naît à l'expiration du délai d'instruction, sans qu'une telle demande puisse y faire obstacle.
J’ai eu la chance de travailler pendant une courte durée (Un stage de deux mois et six mois en contractuel) dans un service instructeur et cela me permet de témoigner de l’activité des instructeurs dans cette collectivité et à l’époque où j’ai exercé dans cette collectivité (j’insiste car les pratiques varient très probablement en fonction de la collectivité et dans le temps).
Le poste d’instructeur en urbanisme est un poste technique qui sollicite un temps de formation important pour les agents qui y sont transférés. La denrée est donc rare et le service souvent mal pourvu.
Les dossiers présentent une technicité et un enjeu politique variables : les dossiers carport / piscines / dépose de la porte de garage ou maison individuelle dans un lotissement autorisé récemment sont nombreux mais à faible enjeu tandis que les permis de construire portant sur un gros collectif par exemple ou encore des dossiers portant sur des locaux commerciaux ont un enjeu plus important.
Le temps nécessaire au traitement des gros dossier est également plus important.
Les dossiers sont distribués par le directeur de service et les agents les plus expérimentés sont mieux pourvus que les autres et doivent généralement mettre en oeuvre une gestion à flux tendus.
Les gros dossiers reçoivent également l’oeil attentif des élus, des directeurs de la collectivité et d’autres services comme par exemple l’assainissement ou la collecte des déchets. Ces examens complémentaires amènent des commentaires pour améliorer le dossier et ce, pendant les délais d’instruction.
Ces échanges entre le porteur de projet et la direction de la collectivité, le directeur de service et l’instructeur demandent du temps.
Enfin, il convient de rappeler les extensions de délai et les demandes d’incomplet doivent être notifiées au pétitionnaire dans le premier mois de l’instruction, sous peine d’être sans effet.
Les instructeurs ont donc développé une pratique consistant à adresser dans le premier mois la notification des délais et une décision d’incomplet, souvent opportuniste et ne portant pas toujours sur une pièce demandée par le code, dans le but de gagner du temps d’instruction.
Le dossier voit en effet ses délais interrompus jusqu’à réception des pièces demandées et cela donne donc de l’air à l’instructeur qui a plusieurs dossiers en cours en même temps.
Cette pratique vient d’être sanctionnée par l’arrêt mentionné ci-dessus puisque le Conseil d’État a décidé que la notification d’incomplet illégale est sans effet sur les délais d’instruction.
D’autres pratiques des services instructeurs, généralement dans les grandes villes, pourraient être la prochaine sur la liste à subir les foudres des juges : la pré-instruction et les règlements dénués de base légale à destination des pétitionnaires.
Qu’est-ce que la pré-intruction?
Les agents chargés de l’accueil du service urbanisme refusent de délivrer l’accusé de réception du dossier de permis de construire et fixent un rendez-vous entre le pétitionnaire et la direction de la collectivité (élus, DGS, directeurs urbanisme et instructeur) pour que le dossier fasse l’objet d’une pré-instruction, que les élus et les autres services connexes fassent part de leurs commentaires et qu’une fois que tout le monde est d’accord, le dossier soit déposé et que les délais puissent enfin courir.
Le règlement informel est un document d’urbanisme bis, sans base légale, que les pétitionnaires sont invités à respecter et qui vient en complément du document d’urbanisme en vigueur légitimement.
Ces pratiques méritent de disparaître car elles sont contraires à l’idée qui sous-tend la mécanique établie dans le code de l’urbanisme avec le système des incomplets, des délais et du silence valant acceptation si la collectivité ne répond pas dans les délais qui lui sont impartis.
Elles doivent également amener des réflexions sur le système d’instruction des autorisations d’urbanisme tel qu’il existe aujourd’hui.
De mon modeste point de vue, le problème est le fait que la décision d’urbanisme est susceptible d’être politisée, c’est-à-dire d’être soumise à des élus qui vont y apporter leur grain de sel alors qu’il leur revenait de prendre leurs dispositions au stade de la planification, c’est-à-dire du document d’urbanisme.
Aujourd’hui, en général, la compétence planification appartient à l’EPCI, la compétence autorisation d’occupation des sols au maire, avec une instruction au niveau de l’EPCI.
Le soin apporté aux documents d’urbanisme n’est pas toujours idéal, des communes compétentes ou des EPCI laissent persister des documents d’urbanisme obsolètes, ce qui peut entraîner des difficultés et des délais très longs et ce à l’avantage ou au détriment du pétitionnaire.
D’autres collectivités insèrent des dispositions vagues dans leur document d’urbanisme en espérant pouvoir être en mesure de s’opposer aux dossiers dont les élus ne voudraient pas et laisser passer les dossiers que les élus voudraient même si la conformité n’est pas toujours très orthodoxe.
La notion même d’urbanisme de projet qui a résulté de la loi ALUR a encouragé cette tendance à laisser des marges d’interprétation larges.
Il me semble q'u’il faudrait dissocier la décision sur l’autorisation d’occupation des sols qui devrait avoir un caractère systématique et relever d’une autorité administrative indépendante locale, à l’échelle d’un département (cela rappellera probablement la DDE mais en établissement public).
Les décisions politiques doivent avoir lieu à l’échelon local mais au stade de la planification, par le biais des documents d’urbanisme. La décision d’autorisation d’occupation des sols n’en est que la mise en oeuvre.
Si l’autorité administrative laisse persister un document d’urbanisme bancal, elle sera sanctionnée par des décisions d’urbanisme contraires à ce qu’elle souhaite, ce qui aura pour effet de l’amener à envisager très rapidement une révision de son document.
Cette compétence transférée à un établissement public indépendant permettrait d’assurer une meilleure visibilité et donc une meilleure sécurité juridique pour les pétitionnaires et cela amènerait les collectivités à soigner leurs documents d’urbanisme.
Enfin, le transfert de la compétence instruction devrait être accompagné de la fonction de surveillance de la police administrative en matière d’urbanisme, DAACT comme police répressive de l’urbanisme à cet établissement public.
On pourrait même imaginer une police de l’urbanisme et de l’environnement relevant de cet établissement mais c’est un autre sujet.
Le conclusions du rapporteur public, Monsieur Philippe RANQUET, sont en ligne sur le site Arianeweb. Elles sont disponibles ici.
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