Obligation pour l’autorité compétente d’inviter le pétitionnaire à modifier son projet pour englober les travaux non achevés résultant d’un PC ancien devenu caduc

Cour administrative d’appel de Paris, 2 octobre 2024,n°24PA00362, C+

7. Enfin, lorsqu'une construction a été édifiée sans autorisation en méconnaissance des prescriptions légales alors applicables, il appartient au propriétaire qui envisage d'y faire de nouveaux travaux de présenter une demande d'autorisation d'urbanisme portant sur l'ensemble du bâtiment. De même, lorsqu'une construction, en raison de son inachèvement, ne peut être regardée comme ayant été édifiée dans le respect du permis de construire obtenu et que celui-ci est périmé, il appartient au propriétaire qui envisage d'y faire de nouveaux travaux de présenter une demande d'autorisation d'urbanisme portant sur l'ensemble du bâtiment. Dans l'hypothèse où l'autorité administrative est saisie d'une demande qui ne satisfait pas à cette exigence, elle doit inviter son auteur à présenter une demande portant sur l'ensemble des éléments qui doivent être soumis à son autorisation. Cette invitation, qui a pour seul objet d'informer le pétitionnaire de la procédure à suivre s'il entend poursuivre son projet, n'a pas à précéder le refus que l'administration doit opposer à une demande portant sur les seuls nouveaux travaux envisagés.

Un permis de construire a été accordé à VITRY-SUR-SEINE en août 1989 pour la construction d’un immeuble à usage de locaux commerciaux et de bureaux. La déclaration d’ouverture du chantier est déposée en 1991, les travaux ont débuté mais ont été interrompus pendant de longues années et le permis de construire est donc devenu caduc.

En 1996, l’immeuble fait l’objet d’un rapport qui indique que seul le gros oeuvre a été exécuté, sa mise hors d’eau et une partie de sa mise hors d’air. Les photographies permettaient de déterminer qu’avant que des travaux non autorisés soient exécutés, la construction consistait en une “simple structure en béton, partiellement close par des planches”.

La SCI a déposé en 2021 une déclaration pour régulariser les travaux réalisés en 2023 et 2017, à savoir la pose de menuiseries et des travaux de ravalement.

Le maire ne s’est pas opposé à la déclaration préalable puis a procédé à son retrait.

La SCI requérante a saisi le tribunal administratif de Melun qui a rejeté sa demande et la SCI a interjeté appel de ce jugement.

La question qui était posée au juge administratif était la suivante : quel est le statut de la construction telle qu’elle a été bâtie à la date de la péremption de l’autorisation d’urbanisme qui l’a autorisée ?

En effet, si la structure existante se voit reconnaitre une existence au regard du droit de l’urbanisme, les travaux ultérieures qui ont consisté en la pose de menuiseries et des ravalements de façades peuvent relever d’une DP.

À l’inverse, si le juge leur refuse une existence juridique, alors la régularisation doit porter sur l’édifice en son entier et les travaux doivent faire l’objet d’un permis de construire (PC).

La CAA a refusé de reconnaitre une existence juridique aux travaux réalisés en considérant que le stade d’avancement de ces travaux, à la date de péremption du PC de 1989, était tel qu’il ne pouvait pas être considéré que la construction avait été édifiée dans le respect de l'‘autorisation d’urbanisme.

Ainsi, c’est le stade plus ou moins achevé de la construction qui permet de considérer que ces travaux relèvent d’une exécution conforme au permis de construire ou non.

Si les travaux sont suffisamment avancés pour permettre de considérer que ces travaux ont été exécutés conformément au permis, alors seuls les travaux nouveaux doivent faire l’objet d’une demande ou d’une déclaration.

À l’inverse, comme en l’espèce, si les travaux ont été interrompus de manière trop précoce, on considère que ces travaux n”ont pas été réalisés en bonne exécution du permis et il faut donc que les travaux subséquents les régularisent.

Enfin, pour les juges de la CAA de Paris, la réalisation du gros oeuvre, la mise hors d’eau et partiellement hors d’air d’une construction ne suffisent pas à considérer que la construction est suffisamment achevée.

De plus, la société requérante avait sollicité le bénéfice de la prescription qui figure à l’article L. 421-9 du code de l’urbanisme.

La cour a toutefois écarté l’applicabilité de cette disposition puisqu’elle bénéficie aux constructions “achevées”, ce qui n’était pas le cas pour la CAA de Paris en l’espèce.

Cet arrêt nous permet de nous faire une rapide piqure de rappel sur la notion de construction existante.

Notion de construction existante

À titre liminaire, il convient de mentionner de manière superficielle l’enjeu de la question : travaux sur existant ou non.

Dit autrement, soit la construction est considérée comme régulière et les travaux supplémentaires sont des travaux sur existant qui nécessitent seuls une demande d’autorisation, soit elle n’est pas considérée comme régulière et alors il convient de reprendre l’ensemble et de faire porter le PC sur l’existant inclus.

La CAA de Marseille avait été amenée à se prononcer sur la même question de l’avancement des travaux (Cour administrative d’appel de Marseille, 11 décembre 2008, n°06MA03324) :

Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que si le précédent propriétaire du terrain, pour lequel le certificat d'urbanisme était demandé par les requérantes, avait obtenu en janvier 1981 le permis de construire une habitation, les travaux entrepris dans ce cadre n'ont consisté qu'à l'élévation partielle des murs principaux, sans même assurer le clos et le couvert de l'ensemble ainsi partiellement réalisé ; que le terrain des requérantes ne peut dans ces conditions être regardé pour l'application des dispositions précédentes comme supportant une construction existante, dont la réfection et l' adaptation étaient l'objet de leur projet ; que le préfet pouvait dès lors à bon droit examiner leur demande comme relative à un projet nouveau de construction d'une maison d'habitation ;t

Dans cette espèce, les murs principaux avaient partiellement été réalisés.

L’administration retient également la preuve d’existence légale d’une construction en fonction de l’état d’avancement des travaux s’ils s’agit d’une construction inachevée (Réponse ministérielle n°15368, JO Sénat, 7 octobre 2010, p. 2577) :

Au regard du droit de l'urbanisme, la notion de construction existante implique la réunion de deux conditions, une existence légale et une existence physique. Elle sera considérée légale si elle a été construite avant la loi du 15 juin 1943 relative au permis de construire, ou conformément à une législation applicable à l'époque de la construction ou conformément au permis de construire accordé. C'est au pétitionnaire d'apporter la preuve de l'existence légale de cette construction. À défaut, la construction sera réputée illégale et la demande de travaux devra porter sur l'ensemble de la construction. Dans ce dernier cas, si le terrain est inconstructible, l'autorisation ne pourra pas être délivrée. La preuve de l'existence physique de l'édifice peut être apportée par tout moyen. Elle suppose que la construction ne soit pas en état de ruine ou, si elle est inachevée, qu'elle ait atteint un état d'avancement des travaux suffisant pour qu'elle puisse être qualifiée de construction.

On peut également étudier la notion de construction existante dans le sens inverse, celle de la construction achevée mais que le temps ou des évènements ont abîmé.

Pour rappel, en effet, une ruine n’est pas considérée comme une construction existante.

Ainsi, la CAA de Marseille avait considéré qu’un bâtiment qui a conservé en totalité ses murs extérieurs et sa toiture mais qui a perdu ses menuiseries et le plancher de son premier étage n’est pas une ruine (Cour administrative d’appel de Marseille, 10 décembre 1998, n°97MA00527) :

Considérant qu'il ressort des nombreuses pièces produites et notamment des photographies versées au dossier, que la construction dont s'agit, qui comporte deux niveaux, avait été construite au début du XIXème siècle pour servir d'habitation ; que, tant à la date de publication du plan d'occupation des sols de la commune qu'à la date de délivrance du permis de construire, elle avait conservé la totalité de son gros-oeuvre, sa toiture et ses murs extérieurs ; que le préfet ne peut utilement faire valoir qu'elle n'était plus habitée depuis plusieurs années, dès lors qu'il ne ressort d'aucune des pièces du dossier qu'elle avait perdu sa destination initiale ou reçu une nouvelle affectation ; que l'absence de raccordement au réseau d'eau ne pouvait s'opposer à la délivrance du permis de construire dès lors que, le règlement du plan d'occupation des sols de CARCES n'impose pas, en zone NC, une telle condition et qu'il ressort du dossier que la construction est desservie par un puits situé à proximité immédiate ; que, si la maison a perdu ses menuiseries extérieures et le plancher de son premier étage, il peut y être remédié au prix de travaux confortatifs qu'autorisent les dispositions précitées de l'article NC 1 ; que, par suite, le permis de construire délivré à M. Z... entrait dans le champ d'application desdites dispositions ;

De la même manière, la CAA de Lyon avait qualifié de construction existante une construction dont un incendie avait brûlé tous les éléments de charpente et de couverture mais dont les murs ne s’étaient pas effondrés, avaient conservé leur fonction d’appui et leur aplomb (Cour administrative d’appel de Lyon, 7 juillet 1998, n°95LY00357) : 

Considérant qu'il résulte de l'instruction que si après l'incendie survenu en 1991, le bâtiment à usage d'étable appartenant à M. X..., se trouvait dépourvu de tout élément de charpente et de couverture ainsi que de toute fermeture, les murs n'avaient subi aucun effondrement et avaient dans leur ensemble conservé leur aplomb et leur fonction d'appui ; que, dans ces conditions, eu égard au caractère rudimentaire du bâtiment, les travaux envisagés n'entraînant par rapport à la situation avant le sinistre, aucune modification de l'aspect extérieur ou de volume, aucune création de niveaux supplémentaires ainsi qu'aucun changement de destination, ne pouvaient être regardés comme une reconstruction à partir de ruines mais présentaient le caractère de travaux de remise en état d'une construction existante n'entraînant aucune création de surface de plancher nouvelle ; qu'ainsi les travaux en cause n'étaient pas au nombre de ceux pour lesquels un permis de construire est exigé en application des dispositions précitées du code de l'urbanisme ;

À l’inverse, quelques murs en ruine ou des vestiges d’un bâtiment ancien ne permettent pas de considérer qu’il s’agit d’une construction existante (Cour administrative d’appel de Lyon, 11 mars 2003, n°02LY02130).

Un point d’attention concernant la preuve de l’existence d’une construction : lorsque la preuve de l’existence d’une construction peut être apportée par tous moyens.

Comme l’indiquait Xavier Couton (Voir ci-dessous), lorsqu’un doute pèse sur le caractère régulier ou non d’une construction, le doute ne semble pas profiter pas au propriétaire (Conseil d’État, 29 juin 2005, Raitère, n°267320, C ; Cour administrative d’appel de Marseille, 26 juin 2007, Commune de Cotignac, n°04MA02343, C).

Enfin, et c’est ce qui doit probablement justifier le classement en C+ de cet arrêt, la cour précise les obligations qui reposent sur l’autorité administrative dans la situation où elle considère que le niveau d’achèvement des constructions anciennes est trop réduit pour les qualifier de construction existante : elle doit inviter le pétitionnaire à présenter sa demande sur l’ensemble des éléments constructifs.

Cette formalité n’est pas très contraignante toutefois car il ne s’agit que d’une information du pétitionnaire qui vise à l’amener à modifier son projet.

À défaut, l’autorité compétente doit refuser la demande.

Pour aller (bien) plus loin :

  • Le statut des constructions inachevées en droit de l’urbanisme, Patrick E. Durand, RDI 2006, p. 340

  • Propriétaires : ménagez-vous la preuve de l’existence de votre construction !, Xavier Couton, Construction - urbanisme n°3, mars 2011

  • Les effets de la caducité du permis de construire sur les travaux inachevés, Christian Debouy, La semaine juridique - édition administrations et collectivités. territoriales, 8 décembre 2014, n°49

Crédit photo : Pexels

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