Déclaration d’utilité publique et existence préalable d’un projet privé ayant le même objet

Conseil d’État, 22 mars 2022, Association Église évangélique de Crossroads, n°448610, B

Précision sur l’appréciation sommaire des dépenses dans le cadre d’une ZAC :

“Il résulte de ces dispositions que, dans le cas de la création d'une zone d'aménagement concerté, l'appréciation sommaire des dépenses doit inclure les dépenses nécessaires à l'aménagement et à l'équipement des terrains et, le cas échéant, le coût de leur acquisition. En revanche, les dépenses relatives aux ouvrages qui seront ultérieurement construits dans le périmètre de la zone n'ont pas à être incluses. N'ont pas non plus à être incluses les recettes attendues de la vente future des terrains et de l'opération d'expropriation.”

Cette précision fait suite à l’arrêt Observatoire indépendant du cadre de vie (Conseil d’État, 11 juillet 2016, Observatoire indépendant du cadre de vie, n°389936) :

“que, dans le cas de la création d'une zone d'aménagement concerté, l'appréciation sommaire des dépenses doit inclure les dépenses nécessaires à l'aménagement et à l'équipement des terrains et, le cas échéant, le coût de leur acquisition ; qu'en revanche, les dépenses relatives aux ouvrages qui seront ultérieurement construits dans le périmètre de la zone n'ont pas à être incluses ; qu'en l'espèce, le programme de la ZAC prévoit que, sur une période d'environ dix années, l'aménageur fera réaliser par des entrepreneurs privés et selon un mode de financement approprié, la construction de logements neufs, d'une résidence pour personnes âgées et de locaux d'activité et qu'il sera en outre procédé à l'extension du centre culturel et de locaux techniques communaux ainsi qu'à la création d'un cimetière ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les dépenses afférentes à ces constructions n'avaient pas à être incluses dans l'estimation sommaire des dépenses jointe au dossier d'enquête de la ZAC du Centre-Bourg ; qu'ainsi, c'est à tort que, pour annuler l'arrêté attaqué, le tribunal administratif de Melun s'est fondé sur le motif que l'appréciation sommaire des dépenses figurant au dossier de l'enquête publique était sous-évaluée, faute de prise en compte de ces dépenses ;”

En effet, pour reprendre les termes du rapporteur public, Monsieur Philippe RANQUET, dans les conclusions qu’il a rendues sur cet arrêt (disponibles sur Arianeweb), cette appréciation sommaire des dépenses a pour utilité de rendre compte des dépenses et des coûts mais pas d’exposer le bilan économique de l’opération.

La question n’est pas anodine sur le plan théorique car elle soulève la question des expropriations pour revendre mais conformément aux conclusions de son rapporteur public, le Conseil d’État n’a pas franchi le Rubicon et a laissé la question en suspens pour le législateur et le pouvoir règlementaire (je ne m’attarde pas sur ce point. Pour plus de détails, je vous invite à lire les conclusions de Monsieur RANQUET, point 5.1, page 4).

En ce qui concerne l’application de la théorie du bilan:

Pour rappel, en matière de déclaration d’utilité publique, le contrôle du juge administratif est le contrôle le plus poussé dit '“la théorie du bilan” (Conseil d’État, 28 mai 1971, Ville nouvelle Est, n°78825).

Le Conseil d’État est venu préciser les trois étapes successives de ce contrôle dans son arrêt commune de Levallois-Perret (Conseil d’État, 19 octobre 2012, Commune de Levallois-Perret, n°343070) :

“3. Considérant qu'il appartient au juge, lorsqu'il doit se prononcer sur le caractère d'utilité publique d'une opération nécessitant l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers, de contrôler successivement qu'elle répond à une finalité d'intérêt général, que l'expropriant n'était pas en mesure de réaliser l'opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l'expropriation, notamment en utilisant des biens se trouvant dans son patrimoine et, enfin, que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d'ordre social ou économique que comporte l'opération ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente ;”

Le juge administratif est venu préciser la seconde étapes en 2016, dans un arrêt Commune d’Achères (Conseil d’État, 6 juillet 2016, Commune d’Achères, n°371034, B) :

“2. Considérant qu'il appartient au juge, lorsqu'il se prononce sur le caractère d'utilité publique d'une opération nécessitant l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers, de contrôler successivement qu'elle répond à une finalité d'intérêt général, que l'expropriant n'était pas en mesure de réaliser l'opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l'expropriation et, enfin, que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d'ordre social ou économique que comporte l'opération ne sont pas excessifs au regard de l'intérêt qu'elle présente ; qu'il lui appartient également, s'il est saisi d'un moyen en ce sens, de s'assurer, au titre du contrôle sur la nécessité de l'expropriation, que l'inclusion d'une parcelle déterminée dans le périmètre d'expropriation n'est pas sans rapport avec l'opération déclarée d'utilité publique ;”

Revenons désormais à notre arrêt Association Église évangélique de Crossroads.

Les autres sociétés requérantes contestaient la nécessité d’exproprier (soit la seconde étape) au motif qu’elles portaient elles-mêmes un projet dont l’objet était similaire à la DUP.

Monsieur RANQUET va cependant rapporter cette appréciation au stade du premier critère puis évaluer la conformité de la DUP au second critère.

Le premier critère est celui de l’intérêt public poursuivi par l’opération en cause. Or, le fait de se prévaloir de l’existence d’un projet privé situé sur le même terrain d’assiette et ayant le même objet que le projet dont la déclaration d’utilité publique est recherchée n’est pas de nature à priver ce dernier de son utilité publique si le projet privé est de moindre importance et présente des garanties moindres (Conseil d’État, 27 octobre 1971, Dlle Marie D..., n° 80997, A). Cela vaut également quand le projet d’utilité publique a un objectif plus large que le projet porté par une personne privée (Conseil d’État, 18 juin 2003, Association foncière urbaines des terrains ensablés du Cap-Ferret, n°224761, B).

Au regard de ce contrôle, le juge va préciser que le projet privé ne permettrait pas d’atteindre des objectifs équivalents à l’opération projetée par la personne publique.

Dans un second temps, en appliquant l’arrêt Commune d’Achères, le juge va préciser que les parcelles de ces sociétés ne sont pas sans rapport avec l’opération déclarée d’utilité publique :

”18. Deuxièmement, si la société Financière Ferney et autres font valoir qu'ils avaient sur les parcelles dont ils sont propriétaires un projet d'aménagement foncier compatible avec les documents d'urbanisme et présentant de fortes convergences avec les objectifs poursuivis par la ZAC, de sorte que l'opération d'aménagement projetée par la communauté de communes pouvait être réalisée sans expropriation, il ne ressort pas des pièces du dossier que leur projet permettait d'atteindre des objectifs équivalents à ceux poursuivis par la communauté de communes à travers l'opération d'aménagement déclarée d'utilité publique. Il n'en ressort pas non plus que l'inclusion de leurs parcelles ainsi que de celles détenues par l'association Eglise Evangélique de Crossroads dans le périmètre d'expropriation serait sans rapport avec cette opération.”

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