La régularisation des autorisations d’urbanisme après le jugement avant-dire droit au titre de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme
Conseil d’État, 4 mai 2023, Société Octogone, n°420736, A
3. Lorsqu'une autorisation d'urbanisme a été délivrée en méconnaissance des dispositions législatives ou réglementaires relatives à l'utilisation du sol ou sans que soient respectées des formes ou formalités préalables à la délivrance de l'autorisation, l'illégalité qui en résulte peut être régularisée par la délivrance d'une autorisation modificative dès lors que celle-ci assure le respect des règles de fond applicables au projet en cause, répond aux exigences de forme ou a été précédée de l'exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises. Elle peut, de même, être régularisée par une autorisation modificative si la règle relative à l'utilisation du sol qui était méconnue par l'autorisation initiale a été entretemps modifiée ou si cette règle ne peut plus être regardée comme méconnue par l'effet d'un changement dans les circonstances de fait de l'espèce. Il en va de même dans le cas où le bénéficiaire de l'autorisation initiale notifie en temps utile au juge une décision individuelle de l'autorité administrative compétente valant mesure de régularisation à la suite d'un jugement décidant, en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, de surseoir à statuer sur une demande tendant à l'annulation de l'autorisation initiale. En revanche, la seule circonstance que le vice dont est affectée l'autorisation initiale et qui a justifié le sursis à statuer résulte de la méconnaissance d'une règle d'urbanisme qui n'est plus applicable à la date à laquelle le juge statue à nouveau sur la demande d'annulation, après l'expiration du délai imparti aux intéressés pour notifier la mesure de régularisation, est insusceptible, par elle-même, d'entraîner une telle régularisation et de justifier le rejet de la demande.
Pour rappel, les autorisations d’urbanisme peuvent faire l’objet d’une régularisation, soit avant que le juge ne se prononce (SCI Fontaine de Villiers), soit après et dans ce cas, le juge identifie les vices, surseoit à statuer et accorde un délai au pétitionnaire pour qu’il puisse corriger son autorisation (Article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme).
Je vous invite à aller voir ce post pour un rappel (un peu) plus complet.
Dans le cadre de l’arrêt SCI Alexandra (Conseil d’État, 3 juin 2020, SCI Alexandra, n°420736, B), qui portait sur l’application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, le Conseil d’État avait précisé que le juge pouvait tenir compte d’un changement de la règle d’urbanisme qui avait eu lieu entre le moment où l’autorisation d’urbanisme avait été accordée et le moment où le juge s’est prononcé.
Le Conseil d’État a également précisé (Conseil d’État, 9 novembre 2021, Société Lucien Viseur, n°440028, B) qu’après que le juge a identifié un vice et a sursis à statuer sur le fondement de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, à défaut de mesure de régularisation, il appartient à ce juge de prononcer l’annulation de l’autorisation d’urbanisme concernée :
5. À compter de la décision par laquelle le juge recourt à l'article L. 600-5-1, seuls des moyens dirigés contre la mesure de régularisation notifiée, le cas échéant, au juge peuvent être invoqués devant ce dernier. À ce titre, les parties peuvent contester la légalité d'un permis de régularisation par des moyens propres et au motif qu'il ne permet pas de régulariser le permis initial. En revanche, si aucune mesure de régularisation ne lui est notifiée, il appartient au juge de prononcer l'annulation de l'autorisation de construire litigieuse, sans que puisse être contestée devant lui la légalité du refus opposé, le cas échéant, à la demande de régularisation présentée par le bénéficiaire de l'autorisation. Une telle contestation ne peut intervenir que dans le cadre d'une nouvelle instance, qui doit être regardée comme dirigée contre le refus d'autoriser le projet dans son ensemble, y compris les modifications qu'il était envisagé d'y apporter.
6. Pour juger illégal le permis de construire délivré le 26 juin 2015 à la SCCV Lucien Viseur, le tribunal administratif de Lille s'est fondé sur la circonstance qu'aucun permis de construire modificatif n'avait été produit auprès de lui. Si la société requérante se prévalait de la demande de permis de construire modificatif qu'elle avait présentée en vue de la régularisation des vices relevés dans le cadre du sursis à statuer, il résulte de ce qui précède qu'en se bornant à constater qu'aucune régularisation de l'autorisation d'urbanisme n'était intervenue dans le délai imparti par son premier jugement, sans se prononcer sur la légalité du refus du maire de Wasquehal de délivrer le permis modificatif sollicité, contestée devant lui, le tribunal n'a pas commis d'erreur de droit.
Dans ce dernier arrêt, le pétitionnaire avait bien introduit une demande d’autorisation d’urbanisme modificative mais le maire la lui avait refusée.
Le pétitionnaire malheureux avait bien produit auprès du tribunal administratif la demande d’autorisation d’urbanisme mais une demande ne suffit pas, il faut une mesure de régularisation comme l’exige l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme :
Sans préjudice de la mise en œuvre de l'article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé.
En l’espèce, le juge a été saisi, il a sursis à statuer, il faut donc une mesure de régularisation.
La question est donc de savoir si la délibération approuvant une modification du document d’urbanisme et qui abroge la règle méconnue par l’autorisation d’urbanisme est une mesure de régularisation au sens de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.
On l’admet quand cette modification est antérieure au jugement avant dire-droit et ce, sans que le pétitionnaire ait à produire une demande d’autorisation modificative puisqu’il appartient au juge de se prononcer sur la légalité de l’acte à la date à laquelle il se prononce à la suite de SCI ALEXANDRA.
Il faut par ailleurs noter que ce mécanisme a été admis par la cour administrative d’appel de Bordeaux lorsque la modification a eu lieu entre le moment où le juge de première instance s’est prononcé, a identifié un vice et a annulé l’autorisation d’urbanisme et l’appel où le juge d’appel vérifie si une régularisation Fontaine-de-Villiers a eu lieu à la date à laquelle il se prononce à son tour (Cour administrative d’appel de Bordeaux, 17 juin 2021, n°19BX00926) :
10. Il résulte de ces dispositions que lorsque le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme dont l'annulation est demandée, sont susceptibles d'être régularisés, le juge doit surseoir à statuer sur les conclusions dont il est saisi contre cette autorisation. Il invite au préalable les parties à présenter leurs observations sur la possibilité de régulariser le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme. Le juge doit mettre en oeuvre les pouvoirs qu'il tient de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme pour la première fois en appel, alors même que l'autorisation d'urbanisme en cause a été annulée par les premiers juges. S'agissant des vices entachant le bienfondé du permis de construire, le juge doit se prononcer sur leur caractère régularisable au regard des dispositions en vigueur à la date à laquelle il statue et constater, le cas échéant, qu'au regard de ces dispositions le permis ne présente plus les vices dont il était entaché à la date de son édiction. Le juge peut se fonder sur ces éléments sans être tenu de surseoir à statuer, dès lors qu'il a préalablement invité les parties à présenter leurs observations sur la question de savoir si ces éléments permettent une régularisation en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme.
Toutefois, dans l’hypothèse de l’arrêt Octogone, le juge a été saisi et à la date à laquelle il s’est prononcé, l’autorisation d’urbanisme était viciée pour un motif de droit.
La seconde phase du jugement ne vise qu’à vérifier si les vices qui avaient été identifiés dans le jugement avant-dire droit ont fait l’objet d’une régularisation. Le juge ne révise pas son premier jugement à la date à laquelle il se prononce à nouveau.
Ce premier jugement avant-dire droit fige la situation juridique et les points soulevés doivent être corrigés par des mesures de régularisation.
Le changement de règlementation postérieur à ce jugement avant-dire droit est indifférent à cette situation figée antérieurement.
En revanche, cela signifie qu’une autorisation modificative vide, c’est-à-dire constituée dans les faits d’un simple formulaire CERFA qui indiquerait qu’il vise à faire appliquer la nouvelle réglementation à cette autorisation d’urbanisme suffirait.
Ainsi, pour reprendre les hypothèses issues du considérant de l’arrêt Octogone :
Si l’autorisation d’urbanisme présente un vice de fond ou de forme, elle peut être régularisée par une décision modificative qui viendrait corriger ce vice de fond ou de forme ;
Si l’autorisation d’urbanisme présente un vice de fond ou de forme, elle peut également être régulière si le vice disparaît soit par changement de la règle qui était méconnue, soit par l’effet d’un changement de circonstances factuelles ;
Si le juge a fait application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, alors l’autorisation d’urbanisme peut être régularisée à la condition que le pétitionnaire produise dans les délais qui lui ont été impartis par le juge, une autorisation modificative qui porte soit sur l’autorisation d’urbanisme soit qui acte un changement de règle intervenu entre le moment où le juge a statué une première fois et le moment où il statue en second lieu sur cette autorisation d’urbanisme.